Il y a 20 ans, étonnant non ?

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Korrigan
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Pierre Desproges, pitre, comique, provocateur, chroniqueur de la haine ordinaire des années 1980, est mort il y a vingt ans, le 18 avril 1988. Vingt ans, et son humour détonnant n'en finit pas d'étonner.

Mais qui était Desproges ? Journaliste, amuseur public, misanthrope, moraliste, pourfendeur de l'hypocrisie et de la médiocrité de son temps.
Pierre Desproges est né en 1939 à Pantin et n'a, de son propre aveu, rien fait d'intéressant durant les 30 premières années de sa vie. Entré par hasard au journal "L'Aurore", il y décroche une chronique de "brèves" repiquées dans les journaux, qui est bientôt la plus lue du quotidien.
L'animateur de télévision Jacques Martin apprécie son sens de l'absurde et l'intègre en 1975 dans l'équipe du "Petit rapporteur", une émission satirique vedette du dimanche.
Des millions de spectateurs découvrent alors l'humour d'un clown renfrogné qui interviewe une Françoise Sagan éberluée, à qui il réclame une verveine et montre des photos de son beau-frère en vacances.
Mais six mois plus tard, il claque la porte en plein succès. Et c'est toute sa singularité. Car Desproges a toujours revendiqué un certain "élitisme". Admirateur de Paul Léautaud et de Marcel Aymé, il appartient à l'espèce rare des comiques lettrés et préfère, dit-il, plaire à quelques personnes qui le comprennent "qu'à des millions de gens à qui (il) n'a rien à dire".
C'est le "Tribunal des flagrants délires" sur la radio France-Inter, où il joue les procureurs à partir de 1980, qui le consacre.
Provocateur épidermique, Desproges ne recule devant rien et laisse libre cours à ses détestations. Il dégomme à l'antenne "l'intelligentsia crapoteuse", les jeunes, "les humanistes sirupeux", l'armée, les politiques, les Résistants et les collabos, l'Académie, les communistes, le Pape...: "De la même façon qu'il existe un humour juif, je crois instinctivement pratiquer un humour catholique", explique-t-il.
Pierre Desproges, c'est le rebelle-réactionnaire, le misanthrope-humaniste, qui, comme le personnage principal de son unique roman, "aime trop les hommes pour les tolérer médiocres". "Un pain de dynamite dans une bonbonnière", titre L'Express en 1986 à propos de son spectacle au Théâtre Grévin.
Amoureux des mots, il a passé sa vie à écrire. A la télévision, il plonge les téléspectateurs dans la consternation ou le ravissement avec "La minute nécessaire de M. Cyclopède". On y apprend à 20H35 "Comment vieillir sans déranger les jeunes" ou "Comment ne pas sombrer dans l'antinazisme primaire".
Et il déverse sa hargne contre l'hypocrisie, la lâcheté, les préjugés ou le bon goût, dans des livres aux titres poétiques : "Vivons heureux en attendant la mort" (1983), le "Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis" (1985) ou ses "Chroniques de la haine ordinaire" (1987).
Mais Desproges sait aussi être tendre, primesautier, proche de l'enfance qu'il n'a jamais vraiment quittée. "Le drame, dit-il, c'est qu'aujourd'hui tout le monde pense la même chose d'une personne, perd son esprit critique".
Le 18 avril 1988, Pierre Desproges meurt d'un cancer à l'âge de 49 ans.
Depuis les années 1980, ses livres se sont vendus, selon son éditeur, à 3,7 millions d'exemplaires et touchent désormais toutes les générations. Le comique de l'élite, lucide, impitoyable, intransigeant, est devenu l'un des auteurs français les plus lus de ces vingt dernières années.
"Tu verras, disait-il à sa femme, j'aurai un succès posthume".

Ratlëas
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Aujourd'hui, aucun humoriste ne lui arrive à la cheville. Et aucun n'a le talent d'être piquant et caustique sans faire du rentre-dedans facile(ou trash-talking à la Guillon...). Ses livres je les relis encore, et je regrette bien sa mort! Gloire à lui :prie: :clapclap: (a) !

nicoyas
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C'est le printemps de Bourges chez nous en ce moment et ici, tous se souviennent de ses 2 passages. Le Berry Républicain à eu la bonne idée de nous redonner à lire son discours de présentation de l'édition 1987. Prenez le temps de lire, c'est du Desproges !

En février 1987, Pierre Desproges est l'invité d'honneur salle du Balajo à Paris pour présenter le Printemps de Bourges. Il fait alors un discours mémorable. Extraits...

« Monsieur le conseiller général du Cher, Monsieur le maire communiste de Bourges (comment peut-on ?) (1), Monsieur le président du conseil régional de la région Centre, Messieurs les politicards de droite et de gauche, Mesdames et Messieurs les professionnels honnêtes ou véreux du spectacle, Camarades artistes, vedettes ou ringards. Cher Daniel Colling, qui avez su faire du Printemps de Bourges ce qu'il est aujourd'hui, je veux dire un authentique et véritable bordel. A tous les amis de la musique de nègres et de la culture sous chapiteau, bonsoir !

En l'absence de Coluche qui a été retenu par un cercueil et de mon confrère Guy Bedos qui participe en ce moment même à la remise du prix Gauche-caviar à Laurent Fabius pour son livre Je m'ai bien maré à Matignon, en l'absence des rois du rire, c'est à moi, Mesdames et Messieurs, qu'échoit le redoutable honneur de présider cette grotesque mascarade promotionnelle et médiatique dont l'intérêt culturel n'échappera à personne ».

« En effet Mesdames et Messieurs, le Printemps de Bourges j'en ai rien à secouer, je hais le rock, je conchie la musique classique, le jazz m'éreinte et Jane Birkin commence à nous les gonfler avec ses regards désolés de mérou au bord des larmes». « J'ai reçu le dossier de presse de ce énième Printemps de Bourges. C'est avec consternation que j'ai pris connaissance du programme des réjouissances qui vont se dérouler chez les bouseux berrichons. Le croirez-vous : en dehors du mien, aucun des noms d'artistes tous azimuts qui défilaient sous mes yeux ébahis ne m'était familier ».

« Bien sûr, on relève dans cette liste, ô combien cosmopolite, les noms de vieilles célébrités du flon-flon pré-pompidolien comme Charles Trenet, le Fanon chantant, ou Gustav Mahler du Balajo munichois, ou ceux de quelques brâmeurs moribonds du gospel des fifties comme ce pauvre Ray Charles qui, lui non plus, n'est pas blanc-blanc dans cette affaire. Pour le reste, rien. Le désert, le néant. La boîte crânienne à Lalanne. Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs, je vous le demande : Pourquoi diable aller à Bourges ? ».

« Car enfin, que nous propose ce Printemps pourri, en dehors de ces spectacles nauséabonds ? Des expositions. Quelles expositions ? (je lis) A la Maison de la Culture, seront exposés les instruments traditionnels des musiciens du Berry. Quel Berry ? Richard Berry ? Claude Berri ? Jules Berry ? Strawberry ? Quels instruments du Berry ? La bombarde à six trous ? La Flûte à Pompe ? La cornemuse berruyère à souffler dans les chèvres ? Le tromblon chérois ? Allons-nous, amis Parisiens, qui sommes tous débordés par l'exigeante âpreté de nos tâches urbaines qui nous conduisent chaque jour au bord de l'infarctus et de l'illégalité, allons-nous tout quitter brutalement pour aller mirer des binious chez les ploucs ? Et qu'est-ce que c'est que ce village des sponsors ? Dont le dossier nous dit (je cite) : La nouvelle salle du festival abritera l'accueil professionnel. On y trouvera un tout nouvel espace "Le Village des Sponsors", lieu de rencontre privilégiée où se trouveront journalistes, artistes,partenaires du festival. Moi je veux bien. Mais qui nous dit que des capotes seront bien distribuées à l'entrée ? Alors ? Qu'aller faire à Bourges ? Dormir à l'Hôtel d'Angleterre, où, si j'en crois le dépliant local, les chiens et les handicapés physiques sont admis ? Coucher entre un paraplégique et un cocker, piètre consolation, n'est-il pas vrai, pour qui n'est ni zoophile ni suceur de béquille.

Non, chers amis culturo-dépressifs que seule la soif de Sancerre a éjaculé du bureau, comme elle fait sortir le loup du bois, non, chers amis parasites venus vous goinfrer aux frais de la branche dure du groupe Vingt dioux la Marie, V'la les gars de Paris qu'arrivent, non nous n'irons pas là-bas, malgré le chant des sirènes qui nous crient aux oreilles, tels François Léotard (2) coursant la mère Duras (3) dans la rue Séraucourt : Au cul la vieille, c'est le Printemps de Bourges !

(1) Jacques Rimbault a été maire du Bourges de 1977 à 1991, il était membre du PCF. (2) François Léotard, ministre de la Culture du gouvernement de première cohabitation dirigé par Jacques Chirac. (3) Marguerite Duras est un des grands écrivains du XXe siècle.

Oltän
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Ce cher Desproges qui, conscient de sa maladie, nous jetais à la figure: "je suis contre ... et je suis contre le cancer". Et son public, ne sachant rien de sa maladie, riait à cette nouvelle boutade. Je pense que l'on comprends mieux aujourd'hui son génie et sa dérision.

Oltän